Laura
a été arrêtée dans la rue alors qu’elle se rendait à son travail. Le jour
suivant elle a été déférée devant la justice. Ce qui ne devait être qu’une
simple formalité pour la libération d’une personne sans antécédent judiciaire
d’aucune sorte, s’est transformé en décision de justice l’envoyant en prison
préventive. Finalement, Laura a été accusée de trouble à l’ordre public,
incendie, participation à actions collectives, atteinte aux droits fondamentaux
et actes de violence contre la propriété privée. Tout sauf l’assassinat de
Kennedy. Sur la tête de Laura pèse pour le moment la menace d’une condamnation
pouvant aller jusqu’à vingt ans de prison.
Le
délit de Laura, assimilé par la justice à un acte de terrorisme (par la
qualification de sa nature et la peine encourue), consiste à avoir participé,
lors de la grève générale du 29 mars à une manifestation spontanée de plusieurs
milliers de personnes. Au passage de la manifestation devant la Bourse de
Barcelone, Laura et d’autres citoyens se sont approchés de l’entrée principale.
Là, avec les précautions d’usage, ils ont déposé une petite caisse en carton
remplie de papiers (représentant des billets de banque). Et ils l’ont brûlée en un acte symbolique.
Personne ne cachait son visage. Il n’y avait rien à cacher. Ce n’était pas la
nuit. On voyait ce qu’il se passait. Une femme avec une caisse en carton. Des
dizaines de membres de la presse présents ont photographié la scène en toute
tranquillité. La police déployée, très entraînée depuis un an, n’est pas
intervenue, estimant ne pas avoir de motif de le faire. Postérieurement à ce
fait, plusieurs personnes brisèrent des vitres. Ce n’est pas la première fois
–ni la plus violente- que la Bourse de Barcelone, à qui il reviendrait meilleur
marché de remplacer la porte par un rideau de fer, subit des dégradations sur
sa porte d’entrée au cours de ces derniers mois de violence financière. Pour maintenir
Laura en prison, il fut évoqué des phénomènes paranormaux comme la récidive
délictueuse – un exotisme juridique pour quelqu’un qui n’a pas d’antécédents –
ou comme le risque imminent de fuite – Laura vit seule avec sa fille et possède
un emploi stable - . De plus, peu de jours après son emprisonnement, elle a été
transférée loin de la ville où vivent sa famille et ses amis, de façon
surprenante et arbitraire. Le ministre de la justice a reconnu que pour
maintenir Laura en prison – ainsi que Dani et Isma citoyens barcelonais arrêtés le matin du 29 mars pour des
faits survenus l’après-midi – il avait été nécessaire de « forcer l’ordonnance judiciaire ».
Et forcer ces choses là consiste à les priver de sens. Ça consiste à être du
non-sens. Ça consiste à revenir à une vision de l’emprisonnement
caractéristique des décennies passées. Ça consiste à constater, brusquement, la
situation fragile dans laquelle se trouvent les droits civiques. Ça consiste
enfin à constater la fragilité tout court. Et tout cela nous oblige à parler de
notre fragilité. Laura est Secrétaire d’organisation de la CGT de Barcelone. Et
elle est anarchiste, l’anarchie étant par tradition hégémoniquement
non-violente – la non-violence est née de la correspondance d’idées d’un
anarchiste russe, Tolstoï, et d’un avocat indien, Gandhi – tradition fragile
qui requiert la pratique personnelle, collective et volontaire de la liberté.
Pour
toutes ces raisons, Laura est fragilité. Mais ce n’est pas la seule fragilité
existant. Depuis un an, de larges couches de la société sont descendues dans la
rue, tels les Indignés, organisés de manière horizontale, sans violence. Nous
avons vu dans le visage des autres, notre visage fragile. Et nous avons
protesté. Nous protestons parce que la seule valeur qu’on nous reconnaît est
celle d’être des marchandises, parce que la pression qu’exercèrent en leur
temps nos parents et grands-parents a été dissipée, de telle manière
qu’aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus fragiles. Notre travail, notre
maison, notre école, notre nourriture, notre santé, notre accession à la
démocratie, notre avenir, notre vieillesse, notre relation avec la loi, sont
pure fragilité. Tous ensemble, nous valons moins que d’autres choses plus
solides, comme un bureau, un carton rempli de papiers, une porte en verre de la
Bourse. Nous ne vivons qu’une seule fois, nous sommes absolument fragiles, et
nous ne pouvons profiter de cela, mais au contraire en avoir peur. Nous sommes
des milliers, des millions de personnes fragiles dans la rue. Nous ne nous
distinguons pas. Le fait qu’on ait décidé d’arrêter Laura, d’arrêter une anarchiste
est anecdotique. Laura est une partie de notre fragilité si grande, que Laura
pourrait être n’importe lequel (laquelle) d’entre nous.
Défends
la fragilité de Laura. Défends la tienne. Qu’ils ne s’avisent pas de toucher un
seul d’entre nous. La liberté de Laura est la tienne. Bats-toi pour les deux.
Lutte contre la violence faite à la fragilité. Lutte contre la violence
judiciaire. Ensemble continuons d’être fragiles mais non faibles.
Guillem
Martínez
(pour Nodo 50)
(Traduction : groupe Salvador-Segui de la FA)
(Traduction : groupe Salvador-Segui de la FA)
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